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Les modes d'intervention contre la toxicomanie




La France a opté pour un système spécialisé, indépendant des lieux de traitement des alcooliques et des malades mentaux, composé de cinq unités hospitalières et de cent cinquante centres d'accueil répartis dans toute la France. Leurs modes d'intervention sont multiples et diversifiés: mise en place de cures de désintoxication en milieu hospitalier ou à domicile avec un suivi quotidien; admission en centres d'hébergement et de réinsertion sociale ou en centres de postcure; suivi socioéducatif dans le centre ou en milieu ouvert; consultation et orientation médicales; psychothérapies; évaluation et soins psychiatriques; aide à la réinsertion; soutien et accompagnement dans les démarches administratives, sociales et juridiques (instruction de dossiers d'attribution du RMI, recherche d'emploi ou de stage, recherche d'hébergement d'urgence ou de logement). Les programmes de substitution se sont multipliés à partir de 1995; il s'agit de remplacer les drogues dures par le Subutex (méthadone). Ces programmes concernaient quelque 20 000 personnes à la fin de 1997 (à comparer avec les 150 000 héroïnomanes dépendants).

Par ailleurs, seize antennes toxicomanie ont été créées en 1987 dans les prisons. Un réseau de familles d'accueil et cinquante centres de postcure complètent le dispositif. Les toxicomanes sont amenés également à consulter dans des structures sanitaires non spécialisées, en raison de leur état d'intoxication (infections, accidents, syndrome de manque, demandes de médicaments).

5. La prévention de l'usage de drogues

Elle peut théoriquement s'exercer aussi bien au niveau de l'offre qu'à celui de la demande. Au niveau de l'offre, la lutte a pris une dimension internationale examinée dans le paragraphe sur la géopolitique des drogues illicites.

L'action au niveau de la demande, certes complexe à mettre en œuvre et difficile à évaluer, demeure une nécessité et relève de la responsabilité de toute la société. Pour être efficace, elle doit concerner l'ensemble des groupes ayant des comportements à risques, qui traduisent un mal-être, une détresse. Cette conception d'une prévention élargie se fonde sur le constat que ces conduites sont les manifestations symptomatiques des difficultés éprouvées par les jeunes lors du développement de leur personnalité. Ces difficultés sont aggravées par l'absence de communication et de dialogue avec les adultes. Ce sont essentiellement les relations entre les sujets et leur environnement qui sont à prendre en compte pour la mise en place d'actions de prévention.

Les groupes à risques

Une analyse fine des caractéristiques des adolescents grands consommateurs de produits psychotropes fait apparaître des différences significatives par rapport à l'ensemble de la population lycéenne. Comme pour les toxicomanes, leur environnement familial est souvent perturbé: séparation des parents; antécédents familiaux d'alcoolisme, de suicide ou de prise de médicaments psychotropes. Sur le plan personnel, on constate la fréquence des difficultés scolaires et l'insatisfaction quant à l'orientation professionnelle. D'autre part, leur état de santé est dans l'ensemble moins bon: troubles du sommeil; maladies graves ou accidents; tentatives de suicide.

Les lycéens consommateurs forment un groupe intermédiaire entre la population lycéenne classique et les toxicomanes; il est considéré comme un groupe à risques. Toutefois, il est évident que tous les lycéens du groupe de consommateurs ne vont pas devenir toxicomanes, même si la probabilité de leur déviance est plus élevée. Ces résultats mettent en évidence que le contact précoce avec les drogues joue un rôle important dans le risque d'évolution vers une consommation aggravée dès l'adolescence, tout particulièrement si ce contact survient dans un contexte de carences psychosociales et de troubles psychopathologiques. De ces constatations émergent trois idées importantes en matière de prévention: il existe des facteurs de risques et des indicateurs de risque de déviance dont le cumul joue un rôle dans la genèse de la toxicomanie; il existe un stade prédéviant, commun à plusieurs types de consommation, qui peut conduire à la dépendance; les caractéristiques des toxicomanes, significatives par rapport à la population générale des 20 -35 ans, les placent en situation de risque, sur le plan physique, mental ou social.

Ainsi, outre ces facteurs de risques antérieurs à la toxicomanie – utiles à connaître pour la prévention primaire –, il existe d'autres facteurs fondamentaux, d'une part dans la prévention secondaire (facteurs médicaux et familiaux pour la prise en charge), d'autre part dans la prévention tertiaire (facteurs familiaux et sociaux pour la réinsertion).

 

6. Géopolitique des drogues illicites

Les guerres de l'opium, au cours du XIXe siècle, ont montré qu'une nation peut utiliser la drogue à des fins politiques et commerciales contre une autre nation – dans ce cas précis, la Grande-Bretagne contre la Chine; la propagation massive de l'alcool chez les indigènes d'Amérique, du Nord comme du Sud, est une autre illustration, contemporaine celle -ci, de la drogue comme fléau social.

À partir de la fin des années 1960, la question du trafic de drogue est devenue un enjeu géopolitique réel, qui n'a cessé de croître en importance: émergence de cartels de la drogue de plus en plus puissants; émergence de narco-États; problèmes financiers et éthiques liés au blanchiment de l'argent de la drogue. Alors que dans les années 1980 la transformation et l'exportation de drogue se trouvaient aux mains d'organisations criminelles de taille internationale – cartels de la drogue colombiens, mafia et camorra italiennes, triades chinoises … –, la structure du marché de la drogue s'est trouvée bouleversée durant les années 1990. D'une part, la lutte contre ces organisations a en partie porté ses fruits (démantèlement du cartel colombien de Medellín après la mort de Pablo Escobar en décembre 1993, puis de celui de Cali; arrestation ou reddition de quelques parrains de la mafia et surtout de la camorra napolitaine; reddition d'un des pivots de la production d'opium et d'héroïne, Khun Sha, en 1996), même si certains groupes importants subsistent (cartel de Norte del Valle en Colombie, mafia sicilienne …). Mais l'énormité des profits réalisés a attiré une foule de nouveaux producteurs, d'envergure moyenne (Mexique, Birmanie, Brésil, Pakistan …) voire nettement moindre, jusqu'à des entreprises de type familial. Selon l'Organisation mondiale des douanes, les petites quantités exportées par ces nouveaux producteurs dans les années 1995 -1996 dépassent au total les records des années 1980, lorsque les grandes organisations monopolisaient le marché (entre 800 et 1000 tonnes de cocaïne produites en Amérique latine en 1996 contre 500 à 700 tonnes durant les années 1980); en outre, la question de la lutte directe contre les trafiquants s'en trouve plus complexe puisque ceux -ci sont bien plus nombreux. On estime ainsi que la culture de la coca occupe en Colombie de 60 000 à 70 000 hectares, auxquels il faut ajouter de 10 000 à 20 000 hectares consacrés au pavot; ils sont cultivés par peut-être 2000 à 3000 familles en plus des organisations non démantelées. Pour compliquer encore la lutte contre la drogue, de nouvelles filières sont apparues, notamment en Afrique et spécialement au Nigeria, durant les années 1990; ces réseaux africains sont fondés en général sur des structures familiales ou claniques.

La production ailleurs dans le monde a, elle aussi, vraisemblablement connu une expansion notable, avec l'apparition de nouvelles zones de culture (Géorgie, Afrique …), la transformation de zones de production locale en zones dédiées à la culture d'exportation (Asie centrale, Caucase pour le pavot, Afrique noire pour le cannabis …), et enfin l'extension parfois considérable de zones consacrées depuis longtemps à ce type de culture (au Maroc, les superficies plantées en cannabis sont passées de 30 000 hectares en 1988 à plus de 70 000 en 1996, ce qui correspond à une production de 2000 tonnes de haschisch).

La consommation a elle aussi considérablement augmenté, avec notamment l'apparition de nouveaux marchés dans les années 1990 (Japon, Afrique du Sud, Russie, Europe de l'Est …) et l'augmentation de la consommation dans certains pays producteurs (Pakistan, Inde, Chine, Brésil …).

La multiplication des conflits locaux, en faisant échapper certaines zones au contrôle des États, a permis aux trafiquants de développer leurs activités en courant de moindres risques qu'auparavant.

En ce qui concerne l'Europe de l'Ouest, les grandes routes internationales qu'emprunte la cocaïne de Colombie passent, à la fin des années 1990, par les Antilles puis l'Europe de l'Est, ou par les îles du Cap-Vert puis l'Espagne ou l'Italie. Pour les autres trafics, les routes utilisées aboutissent le plus souvent en Italie, en Espagne, en Grèce ou en Europe de l'Est; de cette dernière région, il semble que les drogues parviennent en France via l'Autriche et la Suisse.

Enfin, la lutte contre la drogue coûte très cher. Aux États-Unis, où l'on a enregistré 140 000 morts par surdose entre 1987 et 1996, le budget consacré à la lutte contre la drogue a été en moyenne de 70 milliards de dollars par an, en partie alloués au Drug Enforcement Agency, l'agence antinarcotique américaine, pour la destruction de cultures de coca en Amérique latine. Le coût élevé de cette lutte s'explique essentiellement par sa militarisation; le Département d'État estimait en effet en 1997 que les trafiquants de drogues sont capables d'utiliser des outils d'une telle sophistication technologique que les pays du tiers monde n'ont pas les moyens économiques et militaires de les affronter avec succès.

 

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XI. TABAGISME

 

Originaire d'Amérique, le tabac a connu une diffusion extraordinairement rapide depuis son introduction en Europe au XVIe siècle. Malgré certaines résistances initiales, son usage s'est constitué très tôt en art de vivre. La consommation de tabac, aujourd'hui controversée, est devenue un véritable fait de société qui tient une place importante dans la vie économique et sociale de la majeure partie de l'humanité.

1. Histoire

Lors des premières expéditions en Amérique, les conquérants européens découvrent une plante que les populations indiennes parent souvent de vertus curatives et de pouvoirs magiques, ou qu'elles considèrent simplement comme dispensatrice de plaisir. Ils relatent avec étonnement l'usage qui en est fait selon les tribus: le tabac séché est fumé dans des pipes ou sous forme de cigares et de cigarettes rustiques, il est chiqué, prisé, voire mangé ou bu en décoction.

Les débuts en Europe

Pourtant, si la consommation de tabac se répand parmi les marins et dans quelques ports, la plante ne suscite longtemps en Europe qu'un intérêt botanique: des graines de tabac sont plantées en 1554 en Belgique, en 1556 en France – où elles ont été apportées par André Thevet, moine cordelier de retour du Brésil –, en 1558 dans les jardins du roi à Lisbonne et en 1559 en Espagne. Le Français Jean Nicot, s'il n'est pas réellement l'introducteur du tabac en France, est celui qui va en lancer la mode: en 1560, alors qu'il séjourne comme ambassadeur à Lisbonne, il entend parler de cette plante médicinale et expédie du tabac en poudre à son protecteur, le grand prieur François de Lorraine, pour soulager les migraines de Catherine de Médicis; toute la cour va dès lors utiliser des traitements à base de tabac. La culture du tabac se développe aux XVIIe (Caroline, Kentucky, Antilles) et XVIIIe siècles (Louisiane, Cuba). Richelieu taxe le tabac importé (déclaration du 17 novembre 1629) pour protéger les planteurs nationaux. La consommation s'accroît de manière importante; les riches prisent, les autres chiquent ou fument la pipe. Pour profiter de cette demande, Colbert crée en 1674 un impôt indirect par le biais d'une administration privée – confiée à un particulier après adjudication – appelée ferme du tabac; le fermier bénéficie d'un monopole des ventes à l'intérieur du royaume (la culture ainsi que l'exportation restent libres) et verse une somme forfaitaire au Trésor en échange du droit de percevoir les taxes pour son propre compte. En 1681, la ferme du tabac est supprimée et rattachée à la Ferme générale; en 1697, elle est rétablie, avec un monopole accru: la liberté de culture ne subsiste que dans quelques localités. En 1718, une tentative de libéralisation du commerce échoue du fait de la fraude, et, en 1721, le pouvoir royal restaure définitivement le monopole de la ferme. Conséquence d'une taxation lourde – les ressources de la ferme augmentent durant tout l'Ancien Régime –, les contrebandiers sévissent: en dépit d'un appareil répressif rigoureux, ils font passer ce que l'on appelle le «faux tabac»; ainsi Louis Mandrin, le plus fameux d'entre eux, mourra roué sur la place publique de Valence, le 26 mai 1755. Supprimés en 1791, les monopoles sur le tabac seront rétablis en 1811 par Napoléon Ier.

Le mouradisme

Le tabac a souvent fait l'objet d'attaques virulentes au cours de l'histoire. Herbe du diable, interdite de culture au XVIIe siècle dans les colonies espagnoles, son usage est proscrit en 1642 par une bulle du pape Urbain VIII sous peine d'excommunication. À la même époque, le tsar Michel III réclame à l'encontre des fumeurs une peine de soixante coups de bâton sous la plante des pieds; en 1655, ils encourent la peine de mort en Russie. Au Japon, de 1612 à 1651, les fumeurs sont condamnés à l'esclavage, et en Chine ils sont décapités. Le sultan ottoman Murad IV veut en 1630 leur percer le nez avec le tuyau d'une pipe. Le mouradisme – du nom de ce sultan ennemi du tabac – sera dans l'Allemagne nazie la doctrine d'un groupe qui rend le tabac responsable de l'affaiblissement de la race aryenne.

Vers la consommation de masse

Au cours du XIXe siècle, la consommation de tabac va presque quintupler du fait de l'augmentation du niveau de vie, de l'amélioration de la qualité des plantes et de l'apparition de nouvelles façons de fumer: la pipe évolue, les soldats de Napoléon découvrent en Espagne les cigarettes, appelées papelillos, les cigares cubains sont importés à partir de 1844. Alors que la prise a été le principal mode de consommation du tabac pendant l'Ancien Régime, en 1870 elle ne représente plus en France que le quart de la consommation totale (6 000 t); cette habitude va encore diminuer dans de notables proportions, sous la double influence des guerres (de Crimée, de 1870, et surtout celle de 1914-1918), qui généralisent définitivement l'usage de la cigarette dans les classes populaires, et de l'anglomanie, qui impose celui du cigare dans les classes aisées. En 1842, la manufacture du Gros-Caillou fabrique en France 20 000 cigarettes. La consommation atteint 10 millions de cigarettes en 1867, puis 100 millions en 1872 et 400 millions en 1876. On compte en France 79 marques en 1877, et 242 en 1894. En 1844, le Français Le Maire fabrique la première machine à rouler les cigarettes (cigarettotype), et en 1881 l'Américain Bonsack imagine une machine capable d'en produire 200 à la minute. Le Français Anatole Découflé construit en 1880 une machine à enveloppement en tube continu; nombre de ses innovations sont encore utilisées.

Économie

La production annuelle mondiale de feuilles de tabac séchées est d'environ 8 millions de tonnes, le commerce mondial représentant environ 25 % de la production. En 1993, la production de cigarettes a dépassé 5 000 milliards d'unités.

Le tabac en feuilles

La production de tabac brut est caractérisée par le développement des tabacs flue-cured (40 % de la production mondiale) et par l'augmentation des tabacs d'Orient et de type Burley. Les principaux fournisseurs mondiaux sont la Chine (variétés locales et, de plus en plus, tabacs de type Virginie), les États-Unis (tabac de Virginie principalement, puis Burley, Kentucky et Maryland), l'Inde, le Brésil (tabac flue-cured type Virginie) et certains pays de l'ex-URSS (tabacs orientaux surtout). Un fait distinctif de ce marché est que presque tous les pays achètent du tabac, même s'ils sont producteurs; dans ce cas, ils importent les variétés qu'ils n'ont pas, pour satisfaire les goûts du public ou pour améliorer leurs produits: ainsi, les États-Unis achètent à la Grèce et à la Turquie des tabacs d'Orient et leurs exportations sont constituées à 80 % de flue-cured; le Brésil exporte du tabac noir pour cigares; le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Pays-Bas ont une production nationale faible ou nulle; la France a des excédents de tabacs bruns et doit importer des tabacs blonds. L'Union européenne importe 60 % de tabacs flue-cured, 20 % de tabacs d'Orient et 20 % de tabacs noirs pour cigares en provenance de l'Amérique du Sud, des Philippines et d'Indonésie. En 1971, dans le cadre de la CEE, le monopole de la culture du tabac a été aboli, mais des mesures de soutien aux producteurs des pays membres ont été prises: fixation annuelle d'un prix de référence par variété de tabac, primes d'aide à l'exportation hors CEE et primes aux acheteurs de tabac communautaire.

Les tabacs manufacturés

Le marché mondial des cigarettes représente 90 % en volume de l'ensemble du tabac manufacturé: depuis trente ans, il s'est développé au détriment des cigares et, surtout, de la production de tabac à pipe. Il est dominé par la Chine, loin devant les États-Unis, les pays de l'ex-URSS et le Japon. Suivent l'Allemagne, le Brésil et l'Indonésie; la France, pour sa part, occupe la quinzième place. Les quatre cinquièmes du marché libre de la cigarette sont exploités par six multinationales regroupant un grand nombre de marques: ce sont, dans l'ordre d'importance décroissant, le groupe britannique British American Tobacco, les américains Philip Morris et Reynolds, l'européen d'origine sud-africaine Rothmans International, le britannique Imperial Tobacco et l'américain American Tobacco. Ces groupes ne cessent de se diversifier, à l'exemple de Philip Morris, devenu numéro un mondial de l'alimentaire, avec un chiffre d'affaires, en 1992, de 59 milliards de dollars, dans lequel le tabac rapporte 65 % des bénéfices. La production et la commercialisation du tabac dépendent cependant de plus en plus, dans les pays développés, d'une législation limitative, voire répressive, mise en place à partir de 1975. En France, la loi Évin de 1991 interdit de fumer dans les locaux à usage collectif. En avril 1994, le Congrès américain a entrepris une vaste enquête scientifique et sociale à la suite d'une proposition de loi tendant à classer la nicotine parmi les stupéfiants.

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2. TABAC

Pendant quatre siècles, on a fumé comme on buvait du café: par goût, par plaisir et comme un luxe. De plus en plus on fume maintenant, non plus parce que l'on aime fumer, mais plutôt parce que l'on n'aime pas ne pas fumer. La nature du produit a changé, son mode de consommation s'est modifié, les quantités absorbées ont augmenté: le monde découvre que ce plaisir si facile et anodin peut devenir un fléau social, et l'est bien souvent devenu. L'Organisation mondiale de la santé appelle toxicomanie la tendance à absorber un produit toxique susceptible d'engendrer l'assuétude (dépendance psychique et physique) et l'accoutumance qui entraîne à augmenter les doses absorbées. L'usage du tabac, qui semble n'induire aucune dépendance physique, n'est donc pas considéré comme une toxicomanie. Cependant, la présence de toutes les autres caractéristiques de la toxicomanie devrait conduire à l'élaboration du concept de toxicomanie sociale: ce qui distingue véritablement l'usage du tabac de celui du haschisch, c'est, bien moins qu'une dépendance physique assez hypothétique, l'attitude globale de la société à l'égard de ces deux manies. De ce point de vue, la répression massive et brutale ne se distingue plus de l'encouragement tacite ou publicitaire: l'une et l'autre attitude, aussi excessives qu'immotivées, traduisent un aveuglement commun. Le recours à des conduites dangereuses et reconnues comme telles, mais de plus en plus ressenties comme nécessaires à l'équilibre vital, ne se trouve pas étudié de ce point de vue; le sens de ce recours non plus que la nature des raisons qui l'imposent ne sont analysés.

On fume de nos jours bien plus qu'autrefois; on fume autre chose, «grillant» cigarette sur cigarette, alors que nos grands-parents savouraient pipe ou cigare; on fume différemment, en inhalant profondément la fumée. Une «véritable révolution tabagique» s'est produite lorsque furent manufacturées les premières cigarettes: plus commodes que la pipe ou le cigare, dégageant une fumée moins irritante, elles ont permis la transformation d'un usage, fût-il excessif, en manie toujours dangereuse.

Pourtant, il semble à l'heure actuelle encore bien difficile d'être absolument hostile au tabac; est-on hostile au raisin ou au café? La plante n'est pas démoniaque et sa culture fait vivre un grand nombre de familles; la transformation très complexe de ses feuilles et leur commercialisation assurent d'importantes recettes privées ou publiques. Pourtant, l'accroissement considérable du nombre des cancers du poumon a attiré l'attention sur les dangers du tabac; mais l'analyse de ceux-ci a permis de révéler les risques graves que suscite la pollution atmosphérique. Il serait aussi vain et faux d'assigner une étiologie tabagique à tous les cancers des voies respiratoires que d'en rendre exclusivement responsable la pollution atmosphérique. Aussi est-ce le bon usage d'une importante production mondiale qu'il convient de déterminer, car, s'il y a un scandale du tabac, il tient moins, semble-t-il, à sa culture et à sa transformation qu'aux caractères de sa commercialisation.

Aspects socio-économiques de la consommation

De la plantation à l'emballage, la production du tabac pose un nombre considérable de problèmes, que ce soit au planteur, à l'industriel ou au magasinier. La culture extrêmement soigneuse et contrôlée et les transformations délicates et complexes de la dessiccation et de la fermentation nécessitent une main-d'œuvre aussi abondante que qualifiée. En France, environ 30 000 personnes consacrent leurs soins au tabac et lui doivent leur travail et, dans le monde, plus de 60 millions de personnes en tirent fortune, profit ou subsistance.

Une toxicomanie sociale

Une enquête réalisée en 1976 par la Sofres, auprès de 6 000 personnes âgées de plus de quinze ans, a montré que les fumeurs représentent 47 p. 100 de la population (62 p. 100 d'hommes, 33 p. 100 de femmes). La consommation semble varier selon l'occupation et l'âge; elle est moins liée aux revenus et à la formation culturelle. Le développement du tabagisme féminin demeure en tout cas le phénomène le plus important de ces cinquante dernières années.

Les risques que prend, à défaut de les assumer, le grand fumeur sont trop certains pour qu'on les sous-estime; deux caractères sont à retenir cependant en ce qui les concerne et avant de les étudier plus précisément: d'une part, ils portent sur un avenir généralement éloigné de l'âge où commence l'habitude; d'autre part, ils s'expriment le plus souvent en terme de réduction de l'espérance de vie. On verra que ces deux caractères expliquent les difficultés qu'éprouve le médecin à dissuader son patient de conserver une habitude devenue pour lui déjà menaçante. Il suffit de retenir pour l'instant que la menace lointaine d'accidents cardio-vasculaires ou cancéreux ne semble pas suffire à dissuader de devenir fumeur, et peut-être grand fumeur, quiconque y a de l'inclination.

3. Plaisirs et illusions de la fumerie

On a vu quels étaient les effets de la nicotine sur le système nerveux central et trop rares sont les véritables intoxications nicotiniques chez le fumeur pour qu'on s'y attarde. Par contre, il faut noter que l'action excitante puis calmante correspondant aux deux effets successifs de l'absorption nicotinique est parfaitement perçue par le fumeur qui la recherche consciemment. On voit ainsi le grand fumeur s'empresser dès le matin d'atteindre au plus vite le degré de saturation en nicotine qui lui procure une sensation spécifique de bien-être.

La réalité de cette addiction pharmacologique a été prouvée par une expérimentation sur l'homme: on injecte par voie sous-cutanée de la nicotine à des sujets dont certains sont fumeurs et d'autres non. Ces injections produisent des effets très semblables à ceux qu'engendre une première expérience du tabac, mais les fumeurs peuvent tolérer des doses bien plus importantes que les non-fumeurs. Après quatre-vingts injections à la dose d'un cinquantième de grain, l'injection était préférée à la cigarette. La réalité de l'addiction pharmacologique se trouve ainsi démontrée. Une autre expérimentation a montré que, si l'on fournissait à des fumeurs, à leur insu, des cigarettes de moindre teneur en nicotine, leur consommation s'élevait en proportion inverse de l'abaissement du taux de nicotine.

Par ailleurs, qu'il s'agisse de fumeurs de pipe ou de fumeurs de cigarettes, la fumée provoque incontestablement un choc: la fumée chaude agit immédiatement sur les thermo-récepteurs en même temps qu'elle affecte les terminaisons gustatives. A ce moment, les néophytes éprouvent les premiers effets secondaires (frissons, sueurs, début de nausée). Il faut ajouter un effet physico-chimique d'irritation souvent apprécié pour lui-même. De plus, il est probable que certaines substances chimiques pénètrent dans le sang au stade endo-buccal et qu'ainsi s'ajoute une relative action centrale.

A ces effets physico-chimiques on doit ajouter les aspects psychologiques qui transforment l'habitude tabagique en assuétude tabagique. Fumer est un acte social autant que manger ou boire; en tant qu'objet social, le tabac, surtout sous la forme de cigarette, est susceptible d'être donné ou échangé. Il apparaît clairement que la cigarette est l'objet le plus facile à consommer rapidement en compagnie de quelqu'un avec qui un échange, de quelque nature qu'il puisse être, peut s'effectuer. Deux remarques aideront à préciser l'importance fondamentale de cette observation: en premier lieu, on sait que du banquet sacrificiel au banquet commercial les actes sociaux importants sont habituellement liés à des rituels de consommation; en second lieu, on n'oubliera pas que le tabac reste (même inconsciemment) un luxe (aucun fumeur ne prétend qu'il est nécessaire à l'existence), et qu'ainsi ce qui se trouve offert ou échangé demeure symboliquement un objet valorisant, tant pour celui qui l'offre que pour celui qui le reçoit.

Cet aspect ne saurait cependant rendre compte de l'importance personnelle que chacun peut attribuer au fait de fumer; une composante narcissique s'y ajoute, telle que chacun oppose en termes psychologiques le fumeur de pipe au fumeur de cigarettes, et le fumeur de tabac blond au fumeur de tabac brun. C'est dire que l'acte de fumer est une manière d'identification extraordinairement puissante, quoique souvent inconsciente, et ce d'autant plus que la première cigarette correspond le plus souvent chez l'adolescent à un désir de reconnaissance adressé à ses camarades ou à ses parents.

La nicotine

On connaît la double action stimulante (à dose faible) et paralysante (à dose élevée) de la nicotine. On a cru longtemps que celle-ci n'avait qu'une action très limitée sur le cerveau. Mais on retrouve dans le diencéphale de fortes quantités de nicotine (marquée au carbone 14) injectée par voie intraveineuse (Appelgren, Hansonn et Schmiterlow, 1962). De plus, on a observé des effets importants de la nicotine sur l'acquisition des conditionnements et sur le seuil de vigilance chez l'animal et l'homme.

Les effets cardio-vasculaires sont cependant les plus graves: une augmentation très nette du rythme cardiaque apparaît, accompagnée d'une augmentation de la pression artérielle systolique et de la pression diastolique. On enregistre en même temps une chute de la température cutanée qui marque une baisse de circulation périphérique.

A ces effets biologiques correspondent des effets pathologiques: on a montré tout d'abord que l'absorption régulière et prolongée (sans interruption pendant plus de quinze ans) d'un demi-paquet de cigarettes par jour diminue l'espérance de vie de deux ans et demi par rapport à la moyenne, et qu'un paquet quotidien la réduit de cinq ans.

4. Un immobilisme intéressé

Il conviendrait de considérer comme importants les problèmes de prévention et de soins. Or on voudrait montrer que ces problèmes ont bien du mal à recevoir, du moins en France, une réponse pleinement satisfaisante.

Il a fallu, en France, attendre l'année 1971 pour qu'une déclaration officielle de la direction de la S.E.I.T.A. affirme pour la première fois que l'activité du service n'aurait plus pour fin primordiale l'augmentation de la consommation globale du tabac. On voit à quel point la prévention était active! Cela résulte de la situation de monopole exercée par l'État français dans ce domaine et du poids des taxes sur le paquet de tabac courant (87 p. 100 en 1972). L'affluence d'argent frais dans le trésor public a incité les autorités à la prudence, d'autant que les dépenses provoquées par les affections découlant de cette toxicomanie ne dépendent pas des mêmes caisses que celles qui reçoivent le montant des taxes tabagiques et ne figurent pas dans les mêmes systèmes comptables.

Il ne faut cependant pas se cacher les difficultés réelles de la prévention et de la thérapie: aux États-Unis, sur un échantillon de 4 millions d'habitants, Schwartz et Dubitzky n'ont trouvé que cent trente-cinq personnes ayant accepté de prendre contact avec une clinique antitabac, parmi lesquelles cent onze acceptent d'assister à une conférence, et trente-sept seulement prennent la décision de participer au cycle thérapeutique. En fin d'essai, vingt-quatre seulement avaient suivi le cycle complet. Ces résultats rendent bien compte des difficultés rencontrées. Aucune médication ne permet à l'heure actuelle, et sans autre traitement, d'assurer une désintoxication complète. La psychothérapie de groupe donne des résultats légèrement supérieurs; seul l'entretien psychothérapique individuel semble susceptible d'une certaine efficacité, et seulement dans 30 p. 100 des cas.

La prévention a pris pour sa part trois aspects successifs. L'apparition du «bout filtre» fut le premier, aussi inefficace que trompeur: le «filtre», qu'il soit mécanique ou chimique, ne retient pas plus qu'un mégot moyen la nicotine et les goudrons. De plus, le public, tranquillisé par les campagnes publicitaires trompeuses et se croyant efficacement protégé, augmente sa consommation globale.

La dénicotinisation du tabac, tentée depuis un certain temps, se heurte à des difficultés considérables: d'une part, il est pratiquement impossible d'abaisser sensiblement les taux de nicotine sans dénaturer le goût du tabac; d'autre part, les effets de la nicotine sont recherchés pour eux-mêmes par nombre de fumeurs. Enfin et surtout, la nicotine n'est pas l'élément le plus nocif du tabac, et l'on ne sait comment abaisser la teneur en goudrons de la fumée.

En fait, la seule prévention efficace devrait porter sur la jeunesse: il est, comme on l'a vu, quasi impossible d'empêcher un fumeur de se livrer à sa manie; par contre, on peut éviter de susciter l'envie de fumer chez les jeunes. Les campagnes antialcooliques employées à une fin similaire ont donné des résultats très satisfaisants à l'étranger et même en France. Contre le tabac, les États-Unis, l'Angleterre, l'Italie ont déjà développé fortement ce type d'action; la France n'y est pas suffisamment disposée.

Pourtant, depuis 1976 et 1991, l'attitude des pouvoirs publics français a changé: l'évidence des méfaits du tabac, notamment chez les «fumeurs passifs» victimes de la tabagie ambiante (voire maternelle dans le cas des fœtus) a débouché sur une réglementation (ainsi loi Veil de juillet 1976 puis loi Évin de janvier 1991) assez symbolique il est vrai de l'usage du tabac dans les lieux publics.

On peut raisonnablement espérer que cette action raisonnable et efficace pourra être poursuivie. Si l'État privatise la S.E.I.T.A. (1994), il ne renoncera pas vraiment aux revenus du tabac, mais il peut cependant instruire le fumeur en lui montrant les avantages de certains modes de fumerie et les dangers de certains autres. Enfin et surtout, l'interdiction de la publicité en faveur du tabac devrait permette une réforme des mœurs tabagiques. Il s'agit moins de dégoûter le public d'un plaisir qui n'est pas nécessairement illusoire que de lui montrer que ce plaisir, en devenant un besoin, se détruit lui-même. La question du tabac ne se poserait plus si l'on fumait parce que l'on aime fumer.

 

 

XII. SIDA

 

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